I usually write in English, about container technology. This will be in French, and about very different topics. You’ve been warned! :-)
Oh, regarde, une vache en train de pondre !
C’est une phrase un peu bizarre, pas vrai ? Elle est tout à fait correcte grammaticalement parlant. Elle intime la personne qui l’entend à observer un spectacle insolite : une vache en train de pondre. C’est là que les problèmes commencent. Parce qu’on peut difficilement trouver plus mammifère qu’une vache, et que les mammifères ne pondent pas d’œufs. Une vache en train de pondre, c’est comme un dragon volant crachant du feu, un archange vengeur, ou un gentil électeur du FN : on peut s’imaginer à quoi ça ressemble (et encore), mais on sait que ça n’existe que dans notre imagination.
Je n’ai pas trouvé de vue d’artiste d’un gentil électeur du FN.
Qu’est-ce que ça veut dire, alors ?
Si je vous dis, « oh, regarde, une vache en train de pondre », qu’allez-vous comprendre ? Ma foi, il y a beaucoup d’interprétations possibles.
Peut-être que j’ai cru voir une vache en train de pondre, assise dans l’herbe ; et ignorant que les vaches ne pondent pas, j’essaie d’attirer votre attention sur ce fait peu ordinaire. En ce cas, vous allez probablement me reprendre aimablement, m’expliquant que même si les vaches sont parfois les voisines des poules, elles ne pondent pas pour autant.
La vache n’est certainement pas loin de son nid, continuons à chercher.
Peut-être que je ne suis pas tout à fait saint d’esprit, ou bien que j’ai une aphasie de Wernicke à prédominance sémantique à la suite d’un AVC, par exemple ; autrement dit, j’ai une lésion au cerveau qui affecte la manière dont j’utilise mon langage.
Peut-être que je ne montre pas une vraie vache en train de pondre, mais une représentation d’une vache en train de pondre. C’est un des points forts de l’humain, d’être capable d’imaginer, de conceptualiser des choses qui n’existent pas. Un artiste peut dessiner une vache assise sur un œuf. Ce que je voulais dire, c’est en réalité : « oh, regarde, un tableau représentant une vache en train de pondre », sauf que si cette discussion se déroule dans une galerie d’art, il sera quelque peu redondant de préciser qu’on parle d’un tableau (puisque il n’y a que ça tout autour de nous).
Ceci n’est pas une vache en train de pondre.
Peut-être que je suis en train de filer une métaphore douteuse, et que je parle d’une femme enceinte particulièrement grosse. Cela démontrerait aussi une certaine aptitude aux blagues sexistes et grossophobes ; mais ça ne voudrait en aucun cas dire qu’une vache (animal de ferme dont on trait le lait) est en train de pondre un œuf (duquel sortira une petite vache au bout d’un moment).
Ou bien peut-être que je suis en train de détourner l’attention : tout le monde va regarder dans la direction que j’indique, se rendre compte qu’une vache en train de pondre, ça n’a pas de sens, et se mettre à rire de cette bonne blague. Quelques personnes vont se mettre à m’expliquer que ce n’est pas possible, d’autres vont intervenir pour leur expliquer que c’est une blague, et pendant ce temps-là, mon acolyte vous fait les poches pour vous délester de vos porte-feuilles et téléphones portables.
Moi et ma pote la vache on va s’offrir un aller-simple pour Rio et y siroter des caïpis jusqu’à la fin de nos jours!
Le racisme anti-blanc, c’est pareil
Ça a escaladé rapidement dites donc
Si je parle de « racisme anti-blanc », qu’est-ce que ça veut dire ? Pour répondre, on va commencer par la définition du racisme : le racisme est une idéologie qui considère qu’il existe des races, et que certaines sont supérieures à d’autres. On pourrait s’arrêter là, et conclure que « racisme anti-blanc » désigne une croyance selon laquelle les individus à la peau blanche seraient inférieurs aux autres. Ça serait aller un peu vite en besogne. Parce que le problème principal du racisme, ce n’est pas la croyance. Après tout, il y a des gens qui croient en Dieu, ou en la main invisible du marché, ou encore que la fin du monde aura lieu en 2012, et j’en passe. Chacun peut bien croire ce qu’il veut. Le problème, c’est les conséquences de cette croyance.
Les conséquences du racisme sont nombreuses. Le lynchage (c’est-à-dire pendaison sans procès) de plusieurs milliers de Noirs par le Ku Klux Klan, par exemple. Variante moderne : en 2015, un terroriste abat une dizaine de paroissiens noirs dans une église. Plus proche de chez vous (pour mes lecteurs Français), les ratonnades de 1973. Le point commun de tous ces massacres, c’est qu’ils sont perpétués par des gens croyant bien faire, parce que de toute façon, la race blanche est supérieure (d’après eux), et ce n’est donc pas un problème de supprimer avec violence des gens qui ne sont pas blancs (toujours d’après eux).
Si seulement il avait pu en rester à la théorie … 😢
Il y a d’autres conséquences moins fatales mais tout aussi injustes : les préjugés, qui entraînent des difficultés plus ou moins importantes pour trouver un boulot, un logement, ou entrer en boîte, parce qu’on n’est pas né de la bonne couleur.
Pour beaucoup de gens, le mot racisme est chargé de toutes ces significations – de la même manière que pour beaucoup de gens, quand on parle d’une vache (sans contexte), on pense à l’animal. Bien sûr si on parle d’une peau de vache ou d’une vache à lait, cela se charge d’un sens différent ; mais la vache en train de pondre dont je parlais tout à l’heure reste un animal mythique, n’ayant aucune existence tangible. Le racisme anti-blanc, c’est pareil : ça n’existe pas, car il n’existe pas de mouvement conduisant au meurtre ou à la discrimination contre des groupes de gens au seul motif que leur peau est blanche.
Oui, il y a eu des massacres de personnes blanches. Un des plus sinistres exemples est probablement l’Holocauste. Mais ce qui faisait la différence entre les assassins et les victimes n’était pas la couleur de leur peau, mais le fait d’être Juif ou non. Ce n’est donc pas anti-blanc, mais anti-sémite.
Oui, une personne à la peau blanche peut parfois se sentir en position inconfortable lorsqu’elle se retrouve (pour une fois) entourée de gens différents. Cette personne peut se sentir exclue de ne pas arriver à accéder à certains lieux. Si cela vous arrive un jour : félicitations, vous venez de vivre pendant un instant ce qui est le quotidien de millions de personnes de couleur en Europe et en Amérique du Nord. Pendant un court instant, vous venez de démontrer que vous êtes capable d’empathie, c’est-à-dire de vous mettre dans la peau des autres pour comprendre ce qu’ils ressentent.
La prochaine fois que vous vous sentez mal à l’aise parce que vous traversez un quartier « noir », ou parce qu’un individu un peu trop bronzé à votre goût s’assoit en face de vous dans le bus, dites-vous que pour eux, ce « mal à l’aise » c’est tout le temps qu’il peut se produire. Parce qu’il y a tellement de Blancs racistes, qu’il est tout à fait raisonnable pour un Noir de partir du principe qu’un Blanc va toujours essayer de la lui faire à l’envers juste parce qu’il est Noir. Après tout, le FN récoltait 25% des suffrages en France il y a peu ; autrement dit, si je n’ai pas une tête de Français « de souche », une personne sur quatre que je croise dans la rue ou au boulot serait bien contente de me voir quitter le pays. Il y a de quoi me rendre un peu parano, non ?
Et l’hétérophobie, même combat
Qu’est-ce que l’hétérophobie ? A priori, même pour quelqu’un qui n’a jamais croisé ce mot (et qui n’a jamais fait de Grec), c’est accessible. L’homophobie c’est le rejet et la haine des homosexuels, donc l’hétérophobie ça doit être le rejet et la haine des hétérosexuels. J’ai bon ?
Non.
Parce que là aussi, quand on parle d’homophobie, on ne parle pas seulement d’une croyance ou d’idées rétrogrades, mais de leurs conséquences. La fusillade d’Orlando par exemple. La France n’est malheureusement pas en reste du côté des violences homophobes.
Or, il n’existe pas de crimes « hétérophobes » comparables. Des personnes hétérosexuelles qui meurent, oui, il y en a tous les jours. Mais des personnes hétérosexuelles qui meurent parce qu’elles sont hétérosexuelles, autrement dit qui ne seraient pas mortes si elles avaient été homosexuelles, c’est nettement plus difficile à trouver. Aux dernières nouvelles, les chiffres mondiaux de crimes hétérophobes sont de … zéro.
La photo ci-dessus ne représente malheureusement pas deux hommes
qui aiment les hommes qui aiment chasser en forêt et se rouler
nus dans la boue en faisant l’amour à leur fusil d’assaut
(encore que pour la dernière partie, c’est discutable).
Les gens qui posent sur cette photo trouvent ça rigolo
d’utiliser le drapeau arc-en-ciel (symbole de tolérance
de toutes les sexualités) comme cible d’entraînement.
Devoir d’éducation civique en trois questions :
- Auraient-ils mieux fait de garder la cible
qu’ils utilisaient avant, sachant que c’était un portrait
d’Obama ?
- Vous savez à quoi ressemble
le drapeau de la fierté hétérosexuelle vous ?
(Sans chercher sur Internet!)
- C’est quand, la dernière fois que des gens
ont pris un symbole hétérosexuel (drapeau ou équivalent)
pour le brûler ou lui tirer dessus ? (Vous avez le droit de chercher
sur Internet, bonne chance!)
Mais alors, pourquoi des gens utilisent ces mots ?
Excellente question ! Et certaines des réponses sont les mêmes que pour la vache en train de pondre.
Peut-être que ces gens sont mal informés, et ne connaissent pas la définition de ces mots. Peut-être que les gens qui parlent de « racisme anti-blanc » ne connaissent pas, ou ne réalisent pas bien, l’ampleur des horreurs, des massacres, qui ont été perpétués au nom du racisme ; et de la discrimination qui continue à exister aujourd’hui.
Peut-être que leur définition
est différente. Il y a des gens pour qui la « pureté de
la race blanche » est un concept très important, et quand
ils voient un mariage mixte (comprendre, entre une personne
blanche et une autre d’une autre couleur de peau), ils
appellent ça le « génocide du peuple blanc ». Vous comprendrez
alors que pour les descendants des victimes de vrais
génocides, la pilule est particulièrement difficile à avaler.
Imaginez le dialogue :
« Nous sommes victiiiimes d’un génociiiiide !
– Oh mince ! Toi aussi, tes grands-parents ont été
tués dans les camps de concentration des nazis ?
– Noooon ! Pire que ça ! Ma sœur a épousé un Arabe !
– Ah ouais bro c’est chaud ce qui t’arrive,
t’as pensé à en parler à quelqu’un ?… »
Peut-être que ce n’est pas innocent, en fait
Vous avez sûrement déjà entendu la plume est plus forte que l’épée. Oui, c’est une façon de parler : dans une baston, si vous sortez un crayon, vous avez moins de chance de vous en sortir qu’avec un couteau (toutes choses étant égales par ailleurs). Mais les mots ont un sens. Quand on utilise délibérément certains mots, c’est parfois pour créer certaines émotions auprès des personnes qui nous écoutent. Ça fait partie du pathos, une technique de persuasion vieille de plus de deux mille ans.
Alors peut-être que c’est une stratégie bien réfléchie. En utilisant des mots forts, des mots qui nous font penser à des massacres et des crimes atroces, ces gens espèrent susciter en nous des émotions négatives, court-circuitant notre intelligence. Le simple fait d’employer le mot « hétérophobie » laisse entendre qu’il existe un mouvement contre les hétérosexuels, visant à les exclure, prêt à aller jusqu’à les tabasser, les torturer, les tuer. C’est le même principe lorsqu’on parle des grévistes qui « prennent en otage » les usagers des transports en commun. On oublie un peu vite que dans une prise d’otage, le risque principal, ce n’est pas d’arriver en retard au boulot, ou de galérer des heures dans les transport, même sous la neige. L’enjeu, c’est de mourir. Juste parce qu’on était au mauvais endroit, au mauvais moment. Mais en parlant de « prise d’otage », on fait une métaphore que les gens comprennent tout de suite, sans réfléchir, et on fait entrer dans l’inconscient des gens que les grévistes sont de dangereux criminels prêts à tuer des innocents pour avoir ce qu’ils veulent. (Ce qui s’avère pratique au cas où plus tard on voudrait faire intervenir l’armée contre les grévistes en question : après tout, ce sont de dangereux preneurs d’otages, non?)
Ce qui est formidable avec cette technique, c’est qu’un mot ou une expression est encore plus facile à répandre qu’une idée. Il suffit de s’en servir autour de soi, et ça se répand comme un virus. La plupart du temps, il n’y a même pas besoin d’expliquer : les gens comprennent ce qu’on veut dire. Et précisément parce qu’on n’a pas besoin d’expliquer, on peut se retrouver avec des « porteurs sains » du virus, qui vont utiliser ces mots et les répéter autour d’eux sans réaliser qu’ils sont en train de collaborer avec une machine de propagande servant une idéologie qui les ferait vomir s’ils s’en rendaient compte.
Conclusion
Il y a de fortes chances pour que les gens qui utilisent ces mots soient en train de créer une distraction permettant non pas de vous vider les poches (quoi que), mais de vous remplir la tête avec de la merde.
Si vous ne devez retenir qu’une chose de tout ça, souvenez vous juste que l’hétérophobie, c’est une vache en train de pondre.