~jpetazzo/De Docker à Kubernetes en passant par Compose (1/2)

Dans le monde des conteneurs, Docker est une formidable plateforme de développement, et Kubernetes une tout aussi formidable plateforme de production. Comment passe-t-on de l’un à l’autre ? En particulier, si l’on utilise Compose pour décrire son environnement de développement, comment traduit-on ses fichiers Compose en ressources Kubernetes ?

If you can’t read French and wonder what this post is about: It’s an overview of techniques that one can use to transform an app described by a Compose file into a set of Kubernetes resources. An English translation is available if you’re interested!

Cet article s’inscrit dans une série d’articles en français parlant de Docker, Kubernetes, et des conteneurs en général. Si vous souhaitez une introduction sur le sujet, je vous invite à lire « Les conteneurs : par où commencer? » ; si vous êtes plutôt du côté « ops » et que vous vous demandez ce que Docker (ou les conteneurs en général) peut vous apporter, je vous propose « Dérisquer son infrastructure avec les conteneurs ».

Avant d’entrer dans le vif du sujet, un petite page de pub pour le sponsor de ce blog (autrement dit, moi) :

En avril, je dispenserai trois formations à Paris (en français) : bien démarrer avec les containers, déployer ses applications avec Kubernetes, opérer et administrer Kubernetes. Puis, en juin, il y aura Kubernetes for administrators and operators à San Jose (Californie), en anglais. Si vous connaissez quelqu’un que ça peut intéresser … N’hésitez pas à faire suivre ; merci beaucoup ! ♥

Énoncé du problème

Pour se mettre aux conteneurs, je conseille souvent de procéder comme suit :

Une fois à cette étape, on profite déjà des avantages des conteneurs, car toute personne disposant de Docker sur sa machine peut lancer l’application en tapant trois lignes :

git clone ...
cd ...
docker-compose up

Ensuite, on peut ajouter pas mal de belles choses : de l’intégration continue, pourquoi pas du déploiement continu en pré-production …

Mais un beau jour, on veut passer en production. Et dans de nombreux cas, la production pour les conteneurs, ça sera avec Kubernetes. On pourrait avoir un débat sur la pertinence de Mesos, Nomad, Swarm, etc., mais dans le cas présent, je vais supposer qu’on a choisi Kubernetes (ou bien que quelqu’un a choisi pour nous).

Comment passe-t-on de nos fichiers Compose à nos ressources Kubernetes ?

En première approche, vu de très (très) loin, ça devrait être facile : Compose utilise du YAML, Kubernetes aussi.

I see lots of YAML

Image originale par Jake Likes Onions, remixée par @bibryam.

Le problème, c’est que le YAML de Compose et le YAML de Kubernetes n’ont absolument rien à voir l’un avec l’autre. Pire : certains concepts ont des significations complètement différentes. Par exemple, dans Docker Compose, un service est un ensemble de conteneurs identiques (parfois placés derrière un load balancer), tandis que dans Kubernetes, un service est un mécanisme permettant d’accéder à des ressources (par exemple des conteneurs) dont l’adresse réseau n’est pas fixe. Lorsqu’il y a plusieurs ressources derrière un même service, celui-ci fait aussi office de load balancer. Oui, c’est un bon moyen de semer la confusion ; oui, je regrette moi aussi que les concepteurs de Compose et de Kubernetes n’aient pas eu l’occasion de se mettre d’accord sur le vocabulaire, mais en attendant il faut faire avec.

Puisqu’on ne peut pas traduire notre YAML d’un coup de baguette magique, comment faire ?

Je vais présenter trois façons de procéder, chacune avec ses avantages et inconvénients.

100% Docker

Si on utilise une version à jour de Docker Desktop (Docker Windows ou Docker Mac), on peut déployer un Compose file sur Kubernetes de la manière suivante :

  1. Dans les préférences de Docker Desktop, sélectionnez Kubernetes comme orchestrateur. (Si on était sur Swarm auparavant, il faudra peut-être une minute ou deux pour que les composants Kubernetes démarrent.)
  2. Déployez votre application, avec la commande:
    docker stack deploy --compose-file docker-compose.yaml mabelleappli
    

C’est tout !

Pour les cas les plus simples, cela marchera directement : Docker traduit le Compose file en ressources Kubernetes (Deployment, Service, etc.) et nous n’aurons pas besoin de maintenir des fichiers supplémentaires.

Mais il y a un hic : cela lance l’application sur notre Docker Desktop. Comment faire pour qu’elle se lance sur un cluster Kubernetes de production ?

Si on utilise Docker Enterprise Edition, on est sauvé : UCP (Universal Control Plane) permet de faire exactement la même chose, mais en ciblant son cluster Docker EE. Pour rappel, Docker EE permet de faire tourner simultanément des applications gérées par Kubernetes, et des applications gérées par Swarm. Quand on déploie une application en fournissant un fichier Compose, on indique quel orchestrateur on veut utiliser, et le tour est joué.

(La documentation d’UCP explique ça plus en détail. On peut aussi consulter cet article sur le blog de Docker.)

Cette méthode est particulièrement adaptée si on est déjà client de Docker Enterprise Edition, ou bien si on envisage de l’être ; car en plus d’être la plus simple du lot, elle sera aussi la plus solide, car on bénéficiera du support de Docker Inc. en cas d’incompatibilité.

D’accord, mais pour les gens qui n’utilisent pas Docker EE, comment faire ?

Avec des outils

Il y a plusieurs outils permettant de traduire un fichier Compose en ressources Kubernetes. Je vais surtout m’attarder sur Kompose, car il est (à mon humble avis) le plus complet à ce jour, et le mieux documenté.

On peut utiliser Kompose de deux façons : en travaillant directement avec vos fichiers Compose, ou bien en les traduisant en fichiers YAML Kubernetes, qu’on déploie ensuite avec kubectl, la CLI Kubernetes. (Techniquement, on n’est pas obligé d’utiliser la CLI ; on peut utiliser ces fichiers YAML avec d’autres outils, par exemple WeaveWorks Flux ou Gitkube, mais je simplifie un peu.)

Si on décide de travailler directement avec nos fichiers Compose, on utilisera simplement kompose à la place de docker-compose pour la plupart des commandes. Concrètement, on lancera notre application avec kompose up (au lieu de docker-compose up), par exemple.

Cette méthode est adaptée lorsqu’on travaille avec un grand nombre d’applications, pour lesquelles on a déjà différents fichiers Compose, et qu’on ne souhaite pas maintenir un deuxième jeu de fichiers. Ou encore, lorsque nos fichiers Compose évoluent rapidement, et qu’on veut éviter de gérer des divergences entre nos fichiers Compose et nos fichiers Kubernetes.

Dans certains cas, la traduction effectuée par Kompose sera imparfaite, voire ne marchera pas du tout. Par exemple, si on utilise des volumes locaux (docker run -v /path/to/data:/data ...), il faudra trouver une autre manière d’apporter ces données dans nos conteneurs sur Kubernetes. (Par exemple, en utilisant des Persistent Volumes.) Ou bien on voudra en profiter pour restructurer un peu l’application afin de faire tourner ensemble le serveur web et le serveur applicatif, au sein d’un même pod, au lieu d’en faire deux entités séparées.

En ce cas, on peut utiliser kompose convert, qui va nous générer les fichiers YAML correspondant à toutes les ressources qui auraient été créées par kompose up, et on peut ensuite retoucher ces fichiers à loisir avant de les charger dans notre cluster.

Cette méthode offre beaucoup de souplesse (puisqu’on peut transformer le YAML à loisir avant de s’en servir), mais cela veut aussi dire que toute modification du fichier Compose implique de choisir s’il faut générer à nouveau (et le cas échéant, modifier) nos ressources Kubernetes.

Si vous maintenez beaucoup d’applications, mais avec des architectures (et des patterns) similaires, vous pouvez utiliser kompose convert puis appliquer un post-traitement automatique aux fichiers YAML générés. Par contre, si vous maintenez peu d’application (et/ou qu’elles sont très différentes les unes des autres), écrire une moulinette de post-traitement adaptée à tous les cas va probablement représenter un investissement assez lourd ; et vous voudrez certainement vérifier son travail pendant un bon moment avant de la laisser aveuglément générer du YAML qui partira directement en production.

Je suis un grand partisan de l’automatisation, mais avant d’automatiser quelque chose, il faut être capable de le faire …

… À la main

Pour bien comprendre comment les outils évoqués fonctionnent, le meilleur moyen, c’est encore de faire leur travail à la main.

Entendons-nous bien : je ne conseille pas particulièrement de faire ce boulot sur toutes vos applications (surtout si vous en avez beaucoup!), mais je voudrais présenter “ma” méthodologie pour convertir une application Compose en ressources Kubernetes.

L’idée fondamentale est simple : chaque ligne du fichier Compose doit être traduite dans le résultat sur Kubernetes. Si j’affichais ou imprimais les deux côte à côte, depuis chaque ligne du fichier Compose, je devrais être capable de tracer un flèche vers son expression dans Kubernetes.

Cela me permet d’être sûr que je n’ai rien oublié.

Ensuite, il faut savoir comment exprimer chaque section, chaque paramètre, chaque option du fichier Compose. Voyons un petit exemple en action !

# Fichier Compose                                                  | traduction
version: "3"                                                       |
  services:                                                        |
    php:                                                           | deployment/php
      image: jpetazzo/apptruc:v1.2.3                               | deployment/php
      external_links:                                              | service/db
      - 'mariadb_db_1:db'                                          | service/db
      working_dir: /var/www/                                       | ignoré
      volumes:                                                     | \
      - './apache2/sites-available/:/etc/apache2/sites-available/' |  \
      - '/var/logs/apptruc/:/var/log/apache2/'                     |   \
      - '/var/volumes/apptruc/wp-config.php:/var/www/wp-config.php'|    \ volumes
      - '/var/volumes/apptruc/uploads:/var/www/wp-content/uploads' |    /
      - '/var/volumes/apptruc/composer:/root/.composer'            |   /
      - '/var/volumes/apptruc/.htaccess:/var/www/.htaccess'        |  /
      - '/var/logs/apptruc/app.log:/var/www/logs/application.log'  | /
      ports:                                                       | service/php
      - 8082:80                                                    | service/php
      healthcheck:                                                 | \
        test: ["CMD", "curl", "-f", "http://localhost/healthz"]    |  \
        interval: 30s                                              |   liveness probe
        timeout: 5s                                                |  /
        retries: 2                                                 | /
      extra_hosts:                                                 | hostAliases
      - 'sso.apptruc.fr:10.10.22.34'                               | hostAliases

Ci-dessus, un vrai fichier Compose utilisé par un de mes clients. J’ai remplacé les noms d’image et d’hôte pour respecter la confidentialité de mon client, mais en dehors de ça tout est authentique. Ce fichier Compose est utilisé pour faire tourner en préproduction une application basée sur une stack LAMP. Pour l’instant l’application tourne sur une seule machine, mais la prochaine étape est de la “Kubernetiser” (et permettre un scaling horizontal si nécessaire).

J’ai annoté le fichier Compose afin d’indiquer en face de chaque ligne comment je l’ai traduite en ressources Kubernetes. Dans ce second article, je vais détailler point par point comment j’ai établi la correspondance entre Compose et Kubernetes.

Tout ça a demandé beaucoup de travail ; travail spécifique à cette application, de surcroît. Comment répéter ça efficacement pour d’autres applications ? Dans le cas de mon exemple, mon client a toute une brochette d’applications similaires. Le but est alors de construire un modèle d’application (par exemple, sous forme de Helm Chart) qu’on pourra réutiliser, ou au moins utiliser comme base, pour plusieurs applications.

Si les applications sont différentes les unes des autres, on n’y coupe pas : il faut les convertir une par une.

Je conseille alors de prendre le problème par les deux bouts. C’est-à-dire qu’on peut convertir une application à la main, puis se demander “qu’est-ce que je peux modifier dans l’application originale (au format Compose) pour la rendre plus facile à lancer sur Kubernetes?” Parfois, il s’agit de changements très simples. Remplacer un nom DNS par un nom court ; utiliser une variable d’environnement pour changer le comportement du code … Si on normalise suffisamment nos applications, il est fort possible qu’on puisse ensuite les traiter automatiquement avec Kompose ou Docker Enterprise Edition ou un outil du même genre.

Conclusions

Passer de Compose à Kubernetes nécessite de transformer le fichier Compose en multiples ressources Kubernetes. Il existe des outils (comme Kompose) permettant de le faire automatiquement, mais ces outils ne sont pas la panacée (en tout cas, pas encore).

Même si on utilise un outil, il faut être capable de comprendre ce qu’il produit. Il faut donc être familier avec Kubernetes, ses concepts, et ses différents types de ressources.

J’en profite donc pour mentionner mes prochaines formations à Paris et en Californie !

Il y aura:

Les formations à Paris sont en français. Si vous voulez monter en compétence vitesse grand V, vous pouvez enchaîner les 3 formations (elles sont conçues pour fonctionner ensemble).

La formation à San Jose aura lieu dans le cadre de la conférence Velocity.

Je peux aussi assurer des formations sur mesure pour votre équipe. N’hésitez pas à me contacter.

Si vous vous demandez à quoi ressemblent ces formations, nos supports sont en libre accès sur le site http://container.training/, ainsi que quelques vidéos de précédentes formations. Cela vous permettra de juger au mieux si elles sont adaptées à votre besoin.

Dans la seconde partie de cette article, on va entrer dans les détails techniques pour expliquer comment on a adapté cette application LAMP pour la faire tourner sur Kubernetes!

This work by Jérôme Petazzoni is licensed under a Creative Commons Attribution-NonCommercial-ShareAlike 4.0 International License.